Liberation 4-11-05


L'algorithme dans la peau
by Marie Lechner

Liberation 04.11.2005

featuring:
LAb[au] _ MediaRuime proce55ing exhibition
Cimatics

article:
Dans la Lakensestraat, en plein coeur de Bruxelles, des vitrines se font écrans à la nuit tombée. Les étranges créatures de Marius Watz y déploient des tentacules colorés qui se densifient en motifs complexes avant leur désintégration floconneuse. A quelques pas de là, on survole les paysages urbains géométriques d'Elout de Kok, navigant dans leurs structures 3D hérissées. Au coeur du dispositif, le MediaRuimte, lieu expérimental piloté par LAb[au], laboratoire d'architecture, d'urbanisme et de production multimédia, commissaire de cette nouvelle exposition.

Machine à dessin. Depuis deux ans, LAb[au] se charge du versant numérique et expérimental du festival Cimatics, voué aux arts audiovisuels et au VJing qui se tient, pour la troisième fois, dans la capitale belge. 'Le titre de l'expo renvoie au langage de programmation Processing, un outil en open source qui permet de combiner image, animation et son commun, décrypte Manuel Abendroth, cofondateur de LAb[au], un langage simplifié créé par des artistes pour un propos artistique [lire ci-contre]. Peut-être plus important encore que l'outil proprement dit, Processing est devenu une plate-forme pour des artistes qui ont de nombreux points communs et qui trouvent là une famille.' Une nouvelle génération, grandie avec les ordinateurs, pour qui manipuler du code est aussi naturel que dessiner ou peindre. Ils créent des visuels abstraits autonomes, qui s'autogénèrent, des machines à


dessins qui se développent sous nos yeux, des compositions sonores qui ne se répètent jamais, des nouveaux instruments pour les performances live.

Les oeuvres exposées ont en commun leur caractère abstrait, «avec une relation au biologique et à l'organique», commente Manuel Abendroth qui rappelle que de nombreux algorithmes sont dérivés de «cette tentative mathématique de décrire un phénomène biologique». Le Brésilien Dimitre Lima présente, au sous-sol, d'étranges topographies crépitantes. Les images captées par une webcam sont transformées en relief, lignes de niveaux elles-mêmes traduites en sons. Golan Levin invite le spectateur à tracer des lignes avec sa souris, fils qui échappent à son contrôle, s'entortillent, se désagrègent en temps réel et en musique. Dans son installation Floo, les mouvements de souris déclenchent la croissance et la dispersion de spirales filamenteuses, dont le comportement fait apparaître des drones stridents.

La scène Processing fédère des créateurs issus de la culture «do it yourself» plutôt que des écoles d'art, comme Elout de Kok, grandi avec les premiers jeux vidéo, influencé par la scène démo (repère des programmeurs purs et durs), plus habitué des dancefloors que des galeries. Tout comme l'Autrichienne Lia alias 'tinylittleelements', en performance live ce vendredi soir au MediaRuimte avec le collectif Akuvido et le label nexsound.

'J'évolue dans une zone frontalière entre l'art, le design et la culture populaire, estime Marius Watz, commissaire d'une exposition Generator.x sur l'art génératif en Norvège qui vient de s'achever in situ mais se poursuit en ligne sous forme de blog. L'art génératif est le bâtard de l'art abstrait des années 60, un retour à l'art rétinien qui se traduit par un certain formalisme esthétique, un système visuel abstrait généré par des lignes de code.' Où le logiciel fait office de matériau. Des logiciels développés par les artistes qui n'hésitent pas à mettre la main dans le cambouis. 'Si on veut agir sur le monde, on doit agir sur les logiciels, essayer de traduire ce qu'on a en tête en passant par le code.' Dans les


systèmes qu'il programme, Marius Watz préserve une part d'aléatoire, séduit par le caractère imprévisible de ses créations, entre le mécanique et l'organique : «La machine peut créer des choses horribles, mais aussi des visuels merveilleux qu'on n'aurait jamais pensé à faire.» L'artiste admet rechercher une sorte d'«hédonisme visuel», ce qui ne l'empêche pas de développer parallèlement un travail plus conceptuel (comme Universal Digest Machine qui tente de répondre à la question «le web : c'est grand comment ?»

«Maturation». La joliesse de ces oeuvres qui impressionnent et flattent l'oeil leur vaut souvent le reproche d'être simplement décoratives, sans profondeur ni portée critique. «Cette forme d'art est en phase de maturation, tempère Manuel Abendroth. Alors que les technologies sont de plus en plus intégrées dans notre environnement, se crée progressivement un nouveau contexte d'où vont émerger de vraies positions artistiques, philosophiques ou sociologiques.»

Les plus jeunes n'ont pas ce genre d'hésitation, se chamaillant pour tester l'installation interactive de LAB[au] place Sainte-Catherine. Pas besoin pour eux de savoir que cette pièce, Point, Ligne, Surface, est un hommage au Broadway Boogie-Woogie de Mondrian. Juché sur la pointe des pieds pour accéder à l'écran, un garçonnet saisit avec le stylet les points, lignes et surfaces en RGB (les couleurs de l'écran d'ordinateur) auxquels sont associés des sons spatialisés, les balance frénétiquement sur l'écran, créant sur le sol, autour de lui, un tableau mondrianesque sautillant sous l'oeil fier de son père.


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